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The Red Strings Club – Mélangé au shaker, pas à la cuillère

red strings club (RSC)

The Red Strings Club, « cocktails et rêves… une grande enseigne en néon »

 

Les personnages principaux de Red Strings Club

 

Conditions d’écriture de cette critique :

Clef Steam offerte au site VonGuru. En ma qualité de rédacteur, j’ai donc proposé de réaliser une critique du jeu ; écrite en deux nuits (relecture la journée) avec beaucoup de thés différents, du chocolat 90% cacao, la B.O. d’Hotline Miami 1&2 et quelques pistes d’Orelsan.

 

Non, ce pays n’est pas pour un androïde

 

Red Strings Club (TRSC) est un jeu étrange. Un point-and-click aride où les séquences de gameplay sont frustrantes, un peu ennuyeuses, assez redondantes. Un jeu pourtant difficile à lâcher : difficile de ne pas sombrer dans cet univers de science-fiction très commun mais particulièrement crédible. Particulièrement bien écrit. Une expérience philosophique parce que le jeu soumet aux joueurs des instants de pure réflexion, des instants d’une vraie poésie intellectuelle.

En apparence, TRSC raconte une histoire banale : deux mecs qui veulent déjouer le projet d’une multinationale, Supercontinent LTD. On est au XXIIe siècle, plus de la moitié de la population mondiale porte des implants qui transfigurent les porteurs ; vous manquez de charisme ? On peut vous régler ça. Vous êtes en mal de reconnaissance, vous souhaitez ne plus ressentir d’empathie ? Supercontinent LTD peut palier à ces « petits » désagréments de la vie quotidienne. Des androïdes, appelées Ankara, se chargent de fabriquer ces implants et de vous les incruster dans le ventre. Devenez alors un « meilleur vous-même », sans peur, sans haine, sans tristesse. Voilà le futur promotionné par une multinationale qui dans quelques jours lancera le Bien-être psychique généralisé, sorte de super-amélioration qui permet de retirer à tous les êtres humains implantés leurs émotions négatives.

 

Une phase de gameplay de Red Strings Club

 

Et le libre-arbitre alors ? La liberté d’être malheureux, le bonheur d’être triste ? Le mélange de sentiments contraires qui façonnent l’identité humaine ? Deux hommes (et une androïde dont je ne dirai rien tant elle est surprenante) décident de faire échouer ce projet. Un vulgaire combat entre le Bien et le Mal ? Pas si simple, pas quand les développeurs de God Will Be Watching et l’éditeur de Hotline Miami, respectivement Deconstructeam et Devolver Digital, décident de s’en saisir. On sent qu’il y aura de la profondeur et on sent que des pièges nous seront tendus, on chute dedans lourdement et on se questionne, forcément. Le joueur incarne principalement un barman (et deux autres personnages à intervalles réguliers), celui du Red Strings Club, un certain Donovan dont la complexité est rendue par son apparente simplicité. Un tenancier ? Bof, pourquoi pas. Un mixologue de génie, qui en appelle aux muses pour créer les meilleurs cocktails de la ville ? Moins banal. Un trafiquant d’informations dont les verres d’alcool réveillent des sentiments profonds à ses quelques clients, les obligeant à divulguer des vérités précieuses dans des dialogues savoureux ? Là c’est un grand oui. Et c’est bien vous qui menez les débats, qui devez apprivoiser et analyser (l’alcool aidant…) les différents protagonistes franchissant les portes du TRSC.

Aucune discussion n’est banale, aucune conversation n’est là pour allonger artificiellement la durée de vie, toutes sont porteuses de sens, toutes soulèvent des thématiques puissantes et des questionnements humanistes, c’est-à-dire tournées vers l’Homme : sur le transhumanisme, sur la violence, sur le bonheur et les choix de nos futurs. Quand une androïde vous demande froidement : « est-ce que je dois prévenir les manifestations haineuses, telles que la xénophobie ou l’homophobie ? » que faut-il choisir entre oui ou non ? Que faut-il lui répondre ? A priori oui mais ce serait trop simple. Non alors. Pourtant je ne suis pas un monstre, évidemment que je n’ai pas envie que des étranger.e.s ou des homosexuel.l.e.s soient sujet.t.e.s d’attaques horribles, deviennent les parias et les boucs émissaires de cette société futuriste.

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Pourtant, si on pousse le raisonnement plus loin (ce à quoi nous invite le jeu), on peut se demander si contraindre la nature humaine (et sa violence inhérente) est « normale » et recommandable, qui sommes-nous pour juger de ce qui est bien, qui sommes-nous pour juger de ce qui est mal ? En outre, serait-il normal qu’un seul homme, ici Donovan, tenancier de bar, puisse choisir pour toute l’humanité ? Car un homme choisissant seul et pour nous tous est un tyran ; la tyrannie n’étant pas, semble-t-il, un régime politique à conseiller. Je m’abstiendrai de dire ce que j’ai répondu à cette androïde, chacun doit le faire en son âme et conscience. Certaines vérités doivent être tues car toutes ne sont pas tolérables.

 

Le bar de Red Strings Club

 

Respirez, ce n’est qu’un jeu

 

À lire mes quelques lignes, on pourrait penser que je dresse un portrait idyllique de TRSC. Certes, mais avec quelques nuances. Mon principal reproche porte sur les phases de gameplay, globalement pas très intéressantes, hormis les dialogues j’entends. Préparer des cocktails est amusant les premières minutes, moins après quelques heures de jeu, surtout quand ils deviennent inutilement sophistiqués. D’autant plus que les contrôles à la souris (uniquement…) ne sont pas toujours très précis et compliquent le jeu sans raison. Quelques situations sont aussi peu crédibles ou en tout cas mal expliquées : comment le joueur se retrouve-t-il, d’un coup, dans les bureaux très surveillés d’une multinationale ? On ne sait pas, on fait avec. La direction artistique, tout en pixel art, m’a semblé aussi peu inspirée, disons très classique pour de la science-fiction ; rien de transcendant mais rien de mauvais non plus. Mention spéciale quand même pour un personnage en particulier, Gost

On pourrait enfin pester sur le fait que le jeu ne se déroule quasiment que dans un lieu unique, le bar de Donovan, ne vous attendez donc pas à voir du pays. Cependant cela donne à TRSC un aspect très théâtral, étayé par un temps fictif ramassé, quelques jours tout au plus, permettant finalement de respecter le triptyque des tragédies classiques (période Racine) : une unité de lieu, une unité de temps et une unité d’action c’est-à-dire une seule intrigue, permettant de concentrer l’intérêt dramatique sur un sujet principal. Il y a bien des objectifs secondaires et quelques séquences en extérieur mais ceux-ci nourrissent la trame et contribuent à orienter vos (re)sentiments pour Supercontinent LTD et le trio de personnages.

 

In The Face Of Evil

 

RSC est un jeu étrange. Un point-and-click aride et philosophique. On fait peu de choses mais elles sont grandioses : on se bat contre une multinationale à coups de cocktails, de shaker et de discussions enflammées sur le devenir de l’Homme, on répond aux questions complexes d’une androïde, et on doit décider finalement du sort de l’humanité. Tout cela sur une bande-son largement en-dessous des Hotline Miami mais bien au-dessus de nombre de productions actuelles. C’est pêchu, c’est bien écrit et c’est intelligent. Certes, on pourra soupirer face à la redondance du gameplay et quelques situations moins inspirées, mais ce serait se priver d’une œuvre teintée de gris. Entre vodka et whisky hors d’âge. 

Disponible sur Steam au prix de 14,99 euros (bon 15 euros en fait).

 

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