Double-critique du nouveau choc des titans Disney et Warner : Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar v Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur

 

Pirates des Caraïbes (5) : La Vengeance de Salazar et Le Roi Arthur (1) : La Légende d’Excalibur ne sont pas seulement deux blockbusters en concurrence directe parce qu’ils sont sortis à une semaine d’intervalle, ils sont les derniers avatars en date de l’éternel affrontement entre Disney et Warner Bros., et surtout ils marquent l’intéressante opposition entre un film tentant de raviver une franchise globalement considérée comme décrépite après un quatrième opus universellement conspué, et un film faisant tout pour se doter d’une mythologie et inaugurer sa propre franchise.

Est-ce alors à la guerre entre une franchise mort-née et une franchise mort-vivante aspirant à retourner au repos à laquelle nous assistons, ou au contraire au stimulant retour d’une saga bien-aimée face à l’amusante inauguration d’un univers au moins aussi prometteur ?

 

 

Pirates of the Caribbean : Dead Men tell no tales (oui, le titre anglais était incomparablement meilleur que sa « traduction »)

Pirates des Caraïbes 4 semblait avoir définitivement enterré la franchise : même en soupçonnant Disney de vouloir la garder sous perfusion tant qu’elle aurait les moyens de s’offrir Johnny Depp, son échec ne lui laissait présager aucun avenir. Si encore le film avait été une trahison de l’esprit Pirates des Caraïbes, il aurait suffi de revenir dans le rang, mais on avait pris soin d’utiliser tous les ingrédients qui avaient triomphé dans les deux premiers opus, l’humour et les scènes cartoonesques de Jack Sparrow, un MacGuffin mythologique, des légendes maritimes, des enjeux planétaires, une histoire d’amour entre jeunes tourtereaux, un joli casting, et un honnête réalisateur. Dans quelle voie continuer si malgré tout cela la sauce ne prend pas ?

Le roi du marketing a bien pensé les choses : pour ramener sur le devant de la scène, non seulement pour un film mais pour un étirement indéfini de la franchise, une saga décrépite, il faut lui inoculer de la mythologie. Pas du mythe au sens où l’on ferait davantage référence aux légendes des mers, mais une mythologie propre, celle qui fait que les fans se passionnent et s’écharpent. Du coup des liens forts sont tressés avec la première trilogie (le quatrième film étant presque oublié, à l’exception d’une rapide référence à Barbe-Noire), le retour du casting habituel (de Sparrow et de son équipage à Barbossa et son singe) étant élargi au fils de Will Turner et à une jeune fille admirant un père qu’elle ne connaît pas, et l’enjeu principal de l’opus devient même de libérer le capitaine du Hollandais Volant de sa malédiction, grâce à un artefact surpuissant permettant du même coup de débarrasser les océans du nouveau grand méchant Salazar !

 

 

Nouveaux personnages liés aux précédents, dont un aux origines mystérieuses, nouveau méchant redoutable (le fantôme meurtrier du pire ennemi de la piraterie), cherchant justement à se venger de Sparrow, retour du Hollandais Volant, insistance sur la Boussole et le Black Pearl, artefact inédit, mort d’une figure emblématique (on ne dira pas qui)… Dans l’idée, l’alliance entre additions originales et remotivation de thèmes passés est extrêmement ingénieuse. Dans le résultat, un peu moins.

On conçoit déjà difficilement qu’un artefact si commode (on dirait la potion des Animaux fantastiques) n’ait jamais été mentionné dans les autres opus, et ce Trident de Poséidon manque  cruellement d’origin story… d’autant qu’un personnage important semble ne pas y croire et tout ignorer de sa localisation, alors qu’on apprendra plus tard qu’il le connaît parfaitement bien et n’avait aucune raison de le cacher (cela sent furieusement le reshoot et plusieurs strates de réécritures).

Quant au grand méchant, Salazar, qui dans son incarnation par Javier Bardem, son passé et sa caractérisation avait tout pour devenir l’adversaire d’une duologie au moins, la crainte qu’il suscite se réduit au fur et à mesure du film quand on le sent tiraillé par le cliché de l’antagoniste psychopathe, quand il rappelle que le film est tout public (l’imaginer sanguinaire seulement hors-champ ne fonctionne qu’un temps), et quand pour les besoins du scénario il oublie d’utiliser les avantages conférés par sa nature spectrale…

Pirates des Caraïbes 5 essaye par ailleurs de refaire exister l’éternel troisième camp de la franchise avec une flotte britannique dont l’intervention dans la course à l’artefact doit beaucoup à une jolie succession d’invraisemblances, pour ne pas faire honneur dans son dénouement à l’interprétation  de David Wenham (très remarqué dans Iron Fist). Comme le film essaye de maintenir la réputation humoristique de la franchise avec une « scène de la banque » spectaculaire et divertissante à souhait (bien qu’un peu longue sans doute pour son peu d’importance dramatique), mais aligne des blagues si plates que l’on comprend que la réserve de bons mots de Sparrow et sur la piraterie est irrémédiablement épuisée. Et comme il reprend les thèmes musicaux bien connus… constamment, ce qui est problématique parce que le film ne cherche plus ainsi à susciter des sentiments qu’en faisant référence aux sentiments provoqués par les mêmes thèmes dans les précédents films, plutôt qu’en suscitant des émotions par lui-même… Même la relation entre Sparrow et le fils de Will Turner est indûment creuse, alors qu’une alchimie presque paternelle semblait légitimement attendue !

 

 

Cette recréation d’une mythologie se fait donc maladroitement, dans une mauvaise gestion du rythme (on aurait parfois souhaité deux films plutôt qu’un, quand à d’autres moments on s’étonne de longueurs inutiles), des allusions à la trilogie qui se veulent auto-suffisantes sans assez chercher à être approfondies (on ne verra ainsi pas beaucoup le Hollandais Volant, la Boussole aurait vraiment gagné à avoir son histoire, même Jack est en retrait…), des émotions distillées trop artificiellement (notamment dans la mort d’un personnage, que l’on sent un peu forcée par le désir impératif d’être marquant)…

Pirates of the Caribbean : Dead Men tell no Tales est ainsi un film mineur qui force son chemin dans le mythe, qui bénéficie d’assez de potentiel de divertissement et d’assez d’enjeux par rapport à la première trilogie pour être plus regardable dans le 4, au point d’être simplement indispensable dramatiquement pour tous ceux qui aimaient Will Turner, mais dont on sent qu’une écriture plus posée aurait pu assez facilement faire la résurrection de la franchise plutôt qu’un timide sursaut. Il faut bien avouer tout de même qu’on pourra en dire tout le mal du monde, il est difficile de retenir une larme lors d’une certaine scène de retrouvailles…

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P.S. : il y a une scène post-générique…tout à la fin du générique !

 

Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur – quand un studio donne 175 millions à Ritchie

Contrairement à l’infâme Roi Arthur de 2004, Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur a au moins eu le mérite d’être d’emblée clair sur sa tonalité : un projet porté par Guy Ritchie ne pouvait avoir l’ambition de rivaliser en sérieux avec l’Excalibur de John Boorman, et tant mieux, le réalisateur ayant déjà fait merveille avec ses deux Sherlock Holmes, qu’il s’empare de la légende arthurienne promettait un défouloir épique de qualité.

La légèreté avec laquelle il le fait laisse cependant perplexe quelquefois : pourquoi reprendre le nom du fils d’Arthur et de Morgane… pour en faire un sorcier montant des éléphants de guerre que combat Uther Pendragon, le père d’Arthur, dans le prologue ? à quoi bon intituler le film Legend of the Sword si le background d’Excalibur est balancé en une minute de gloubi-boulga dont je n’ai personnellement saisi le traître mot (sinon que Merlin l’aurait forgé dans une branche de bois ? euh…) ? Pourquoi ne pas donner de nom au Mage qui accompagne Arthur, comme si on ne se doutait pas qu’elle fait allusion à Morgane, et comme si cette référence devait être une révélation sérieuse, ce qui tranche nettement avec la décomplexion de Ritchie sur à peu près tout le reste ?

On sent derrière une apparente légèreté la volonté de créer un univers dans lequel se dérouleront plusieurs films, ce qui est parfois fait avec de gros sabots, comme l’invention d’une guerre entre les humains et les Mages dont on nous rabat souvent les oreilles sans en prendre autrement acte, comme si cela dessinait l’intrigue d’un film futur, la dissimulation que je viens de citer du nom du Mage, l’absence d’indice sur le sort de Merlin, les prémices d’un ordre de la Table Ronde… Il faut alors apprécier que, contrairement à Rowling qui, toute à sa fierté d’étendre l’univers d’Harry Potter avait annoncé sept films Animaux fantastiques…avant la sortie du premier, Ritchie tente, même maladroitement, de poser discrètement des bases d’un édifice futur… qui ne sera sans doute jamais bâti (mais c’est une autre question). La Warner nous avait habitués à moins de « subtilité », tant avec les Animaux fantastiques qu’avec Batman v Superman !

Et cela paie, puisque la grossièreté de cet assemblage de bric et de broc vaut mieux que la vulgarité de l’annonce d’une interminable saga dont on nous promet d’avance qu’elle sera rentable, et que cela suffit à inspirer un désir plus spontané de découvrir d’autres facettes de cet univers, de voir la suite qui nous soulagera de la frustration de toutes les absences de cet opus.

D’autant qu’en termes de tonalité et de mise en scène, Le Roi Arthur affiche une vraie personnalité. Bêtement potache par instants (quand on a fait Snatch, on ne se refait pas), le film concilie humour pop et drame sans nous faire éclater de rire ou en larmes, mais toujours sans impureté et avec assez d’aisance pour que l’on perçoive en quoi cela définit les personnages que nous avons sous les yeux. L’idée seule de faire cabotiner Charlie Hunnam (qui vient quand même de jouer dans The Lost City of Z) à côté d’un Jude Law qui se prend plus au sérieux encore que dans The Young Pope a de quoi intriguer le plus sceptique.

Mieux, les scènes les plus « ritchiennes » sontirrécusablement réussies, que ce soit dans le récit heurté (un personnage raconte une histoire et doit sans cesse rembobiner pour ajouter un détail « oublié ») ou dans le baroquisme des combats, filmés en faux plans-séquences avec alternance dynamique de slow-motion et d’accélération, de plans d’ensemble et de gros plans, bref du pur plaisir pour qui sait apprécier les apports d’un numérique jubilatoire (détracteurs de Snyder, c’est vous que je regarde).

 

 

C’est cette même outrance dont relève l’autre grande qualité du film – une autre qualité qui fait grincer les dents à beaucoup – la musique de Daniel Pemberton, ses accents irlandais et son volume sonore volontairement trop élevé. C’est une faiblesse que j’avoue volontiers : à une époque où le blockbuster se soumet à tant de standards que même sa musique peine à être remarquée, les super-productions osant percer les tympans (quand l’action représentée s’y prête) trouvent plus facilement la voie vers mon cœur, et font plus facilement oublier leurs errements scénaristiques (cf. Man of Steel).

Le Roi Arthur : La Légende d’Excalibur se hisse sans difficulté au sommet des films les plus chers à avoir été produits sans esprit de sérieux, et donc d’autant plus risqués. Confier 175 millions de dollars à Ritchie semblait tenir du suicide, et le flop que fait le film semble prouver que la Warner a en effet eu tort. Il y a cependant un puissant plaisir à ce qu’un divertissement aussi décomplexé, presque dégénéré par moments, soit soutenu par des effets spéciaux aussi solides et des acteurs se prenant au sérieux, et à l’idée qu’un réalisateur ayant fait de la démesure risible une marque de fabrique ait su, le temps d’un film, convaincre un grand studio de lui donner carte blanche, comme si les pontes de la Warner avaient eux aussi eu bien besoin de ces délices régressives.