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Le R’lyehian, langue fictive ?

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Langues et pratiques du Geek : le R’lyehian

 

[dropcap size=small]E[/dropcap]t si l’envie vous prenait d’apprendre le R’lyehian ?

Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je vous recommanderais chaudement de parcourir le premier volet de cette chronique, consacré au Quenya, et dans lequel je prends le temps de définir selon mes termes cette notion de langue fictive.

Néanmoins, pas besoin d’une explication complète pour affirmer ce qui va suivre : il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Et si nous nous plongions dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue ? C’est du moins ce que j’ai fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agira pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.

Pour bon nombre d’entre nous, ce sont les vacances d’été. Lors du précédent volet de cette chronique, nous nous étions plongés dans les profondeurs des grottes comme Lascaux (que Cleek a aussi explorées dans le cadre du Déclic artistique) et des hommes préhistoriques en apprenant le Wenja. Mais qui dit été dit surtout plage de sable fin, farniente au soleil avec (ou non) un livre dans les mains, mer bleue turquoise, poissons et algues qui vous chatouillent les pieds et monstres marins terrifiants. Alors, puisque vous êtes susceptibles de rencontrer au cours de vos escapades littéraires ou maritimes un certain Cthulhu, Cleek vous propose d’apprendre le R’lyehian, langue fictive issue de l’univers de H.P. Lovecraft.

 

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« Cleek speaks (the language) native of R’lyeh » – Cleek parle le R’lyehian

 

[divider]Les origines du R’lyehian[/divider]

 

Howard Phillips Lovecraft, ou H.P. Lovecraft pour les intimes, est sans doute aux créatures monstrueuses à tentacules et autre Cthulhu ce que le docteur Frankenstein est à son monstre : deux personnes (bien que l’une réelle, et l’autre fictive) rattrapées par leur création au point d’en perdre leur identité ou individualité. En effet, le nom de l’écrivain Lovecraft a pour la plupart des sonorités de Cthlulhu qui ne laissent guère de place à d’autres œuvres ou personnages. Pourtant, si le mythe du Cthlulhu apparaît dans plusieurs de ses œuvres, Lovecraft, écrivain américain du 20e siècle, ne s’est pas contenté de cette unique entité et de cette seule mythologie pour nous plonger au fil des mots dans le fantastique, l’horreur et la science-fiction. Et je dois reconnaître que je ne vais pas contribuer à la mise en avant de la diversité de l’œuvre de Lovecraft puisque l’on va aujourd’hui s’intéresser précisément au mythe de Cthulhu et plus spécifiquement à sa langue.

Je ne vais pas ici vous proposer un résumé de l’univers développé autour du fameux Cthulhu, car je ne connais pas assez bien l’œuvre de Lovecraft pour cela, et que cet univers est assez riche, mais je commencerai néanmoins par vous présenter succinctement le bonhomme dont il est question depuis le début, et qui est très fortement lié à la langue que nous allons décrypter. Cthulhu, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un monstre extraterrestre au physique non conforme, pour ne pas dire indescriptible.

 

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Dessin d’une statuette représentant Cthulhu – H.P. Lovecraft, 11 mai 1934

Nul ne saurait décrire le monstre ; aucun langage ne saurait peindre cette vision de folie, ce chaos de cris inarticulés, cette hideuse contradiction de toutes les lois de la matière et de l’ordre cosmique.

L’Appel de Cthulhu, H.P. Lovecraft, 1926

 

Une description un peu plus précise a cependant été proposée. Ainsi, l’on sait que le Cthulhu aurait une tête de seiche, avec des tentacules de pieuvre, et qu’il serait doté d’ailes de dragon. Il aurait des bras et des jambes plus ou moins humains (bien qu’ils soient palmés et dotés d’énormes griffes), ce qui contribuerait à son apparence relativement humanoïde, et il ferait accessoirement plusieurs centaines de mètres de hauteur. Mais l’aspect le plus intéressant de sa description telle que donnée par l’auteur reste la référence à ces « cris inarticulés » sur lesquels nous reviendrons. Notons que ce monstre, sorte de dieu cosmique millénaire, dort dans les profondeurs de l’océan Pacifique, dans une cité sous-marine nommée R’lyeh, après qu’il a fait l’objet d’un bannissement par ses pairs, selon certaines théories. Son réveil possible serait une source d’anxiété subconsciente pour l’humanité, et fait l’objet d’un culte auprès de certaines civilisations.

 

Ce culte, dont il est régulièrement question dans l’œuvre de Lovecraft, est aussi une des plus grandes sources de données concernant le R’lyehian. Précisons tout de suite que le R’lyehian est le nom donné a posteriori par les curieux et les fans à cette langue qui n’a pas réellement été décrite par Lovecraft. On retrouve aussi parfois le nom de Cthuvian. Peu de choses sont réellement dites au sujet de cette langue : contrairement à Tolkien pour le Quenya ou les autres langues de la Terre du Milieu, il n’y a pas de lexiques ou de grammaire proposées par l’auteur. Les informations que l’on a pu récupérer au sujet du R’lyehian proviennent du travail de traduction des quelques occurrences disséminés dans l’œuvre de Lovecraft. Ainsi, les fans ont pu proposer un lexique à partir des extraits en R’lyehian et la traduction en anglais proposée par l’auteur. L’un des exemples les plus notables reste la phrase prononcée dans le cadre du culte de Cthulhu, et dont la traduction même en anglais souligne la difficulté liée au R’lyehian. Si la différence de sens entre les deux traductions semble relativement minime, elle met en avant le manque de normes du R’lyeh.

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Texte original ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn
Traduction proposée par l’auteur In his house at R’lyeh dead Cthulhu lies dreaming.
Traduction littérale Dead, yet dreaming, Cthulhu waits in his palace in R’lyeh.

 

Cette langue ne ressemble à rien de connu sur Terre. Le monstre est décrit par le biais des « cris inarticulés » qu’il prononce, à l’image de son propre nom. En effet, si les variantes graphiques sont nombreuses (Tulu, Clooloo, Kutunluu et j’en passe), la prononciation même du nom de Cthulhu est problématique. Voilà ce qu’en dit Lovecraft dans un courrier adressé à Duane Rimel le 23 juillet 1934.

 

La véritable sonorité, si les organes humains peuvent l’imiter, ou la retranscrire par courrier, ressemble à : khlûl’-hloo, la première syllabe étant prononcée gutturalement et très sèchement. Le « u » ressemble à celui de « full ». Cette première syllabe n’est pas sans rappeler « klul », puisque le « h » affirme l’épaisseur gutturale. Quant au son « l », lui, il n’est pas représenté.

 

Enfin, notons que ce que l’on sait du R’lyehian concerne la langue parlée. Il existerait une écriture spécifique au R’lyehian, nommée R’lyeh Glyphs, constituée d’une série de glyphes, les lettres verticales s’alignant sur une ligne horizontale pour former des mots. Lovecraft aurait fait des tentatives de représentations de ce système d’écriture, mais il n’a pas été officialisé.

 

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Extrait d’un manuscrit de Lovecraft (Source)

 

[divider]L’apprentissage du R’lyehian[/divider]

 

L’ébauche qui a pu être faite précédemment du R’lyehian donne une idée de la difficulté liée à son apprentissage. Cette langue, pas réellement normalisée, pas théorisée, et finalement peu développée, va donner du fil à retordre à n’importe quel apprenant. Mais commençons par recenser les outils qui feront la base de cet apprentissage.

 

La liste des courses

 

Si de nombreux sites et vidéos vous proposent de découvrir le culte et la spiritualité liés à Cthulhu, peu de ressources sont en revanche disponibles pour s’initier d’un point de vue purement linguistique au R’lyehian. Les quelques ressources disponibles semblent pourtant complètes, puisque, vous le verrez, le contenu est relativement limité. Je me suis pour ma part servie des pages dédiées au R’lyehian dans le Cthulhu Wiki et sur le site de questions/réponses Quora. J’ai aussi suivi le cours Memrise sur l’Aklo (dont il est dit dans la description qu’il est basé sur le R’lyehian), mais force est de constater que le lexique proposé est différent de celui proposé sur les autres pages citées. Cela étant, cela s’en rapproche, et aucune personne non initiée ne pourra faire la différence.

 

Ce qu’il faut retenir de l’apprentissage du R’lyehian

 

À l’image du Simlish que nous découvrions dans une précédente chronique, le R’lyehian peut sembler à première vue simple, puisque simplifié. En effet, cette langue se caractérise par une absence totale de notion de catégorie grammaticale. Verbe, nom, adjectif… Tous ces termes et toutes ces distinctions ne font pas sens pour le R’lyehian. Le mot « ‘ai », utilisé dans l’exemple Cleek ‘ai R’lyehoth proposé au début de l’article, et qui a le sens de parler ou appeler, peut aussi bien être utilisé comme nom ou comme verbe. Pourtant, notons qu’il existe deux temps verbaux, le présent et le passé. Si cela peut sembler simplifier l’apprentissage, puisqu’un seul mot du R’lyehian peut couvrir plusieurs mots de notre langue à nous, apprenants, tout cela complique notablement le travail de traduction, et donc rend moins exploitable les extraits de R’lyehian que l’on peut avoir comme base de notre apprentissage.

La seule réelle contrainte grammaticale et syntaxique relève du caractère dérivationnel de la langue, qui marche à coup d’affixes. On distinguera donc seulement les mots des affixes (préfixes et suffixes). On peut ainsi, pour reprendre l’exemple précédent, distinguer le mot R’lyeh (qui est un nom de lieu, soit dit en passant) et le suffixe -oth qui signifie « natif de ».

L’apprentissage du R’lyehian repose donc essentiellement sur l’apprentissage d’un lexique relativement limité. En connaissant les mots, on peut déchiffrer et essayer de composer des phrases. Notons cependant que cet apprentissage est ardu, puisque la phonétique de la langue, et donc les mots, ne nous sont absolument pas familiers, du fait du caractère non terrestre de cette langue. En effet, certaines associations de lettres nous paraissent non naturelles, comme dans le cas du préfixe nnn- qui signifie regarder/surveiller/protéger ou dans le cas du mot fm’latgh qui signifie brûler/brûlure. Sans compter qu’il faut composer avec les apostrophes, qui ont pour but de signifier le caractère glottal d’une consonne, caractéristique peu présente dans les langues européennes et davantage présente dans des langues sémitiques ou africaines comme l’arabe, l’hébreu ou le ngbaka. Il est donc difficile de rattacher les mots du R’lyehian à ceux de notre propre langue, autant sur le plan graphique que phonologique, ce qui rend toute assimilation ardue.

 

[divider]Conclusion[/divider]

 

Le R’lyehian est une langue éminemment délicate à apprendre, d’une part à cause du peu d’informations dont on dispose réellement à son sujet, et d’autre part à cause de son étrangeté, qui empêche toute projection. L’apprentissage du R’lyehian est vraiment dépaysant, bien que peu satisfaisant, puisqu’il n’offre que peu de résultats. On peut tout au plus comprendre les quelques occurrences dans les œuvres de Lovecraft, et encore, au prix de très nombreux (et sans doute trop coûteux) efforts. Il faut davantage voir le R’lyehian comme une curiosité plus qu’un réel apprentissage.

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