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The Witch – la critique

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 Quatre mains et une sorcière – La critique de The Witch

 

The Witch, premier long-métrage du réalisateur Robert Eggers, a connu bien avant sa sortie cette semaine, une vague de hype conséquente. D’abord primée pour sa mise en scène au festival du film de Sundance, The Witch s’est vu gratifié de nombreuses éloges quant à son style horrifique novateur. Il est vrai qu’au simple visionnage de la bande-annonce, nous comprenons tout de suite que l’œuvre semble vouloir proposer quelques chose de drastiquement différent en terme d’horreur et d’épouvante. Teinté d’ésotérisme, de religion et de folie, le film The Witch est-il dont l’ovni horrifique que l’on dit ? Cleek est allé le voir pour vous, et vous livre sa critique à quatre mains.

 

Synopsis (Allociné) – 1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, s’établit à la limite de la civilisation, menant une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivant leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres…

 

 

[divider]Laurie-Anne « Caduce » Angeon[/divider]

 

C’est avec une curiosité non feinte que j’ai regardé la bande-annonce de The Witch, un avant-goût qui me donna bien vite envie d’en savoir plus sur LE film d’horreur du moment. Si le sujet de l’œuvre ne semble pas bien original, et c’est peut dire, son traitement quant à lui, laisse à penser que le réalisateur a préféré s’écarter des sentiers battus de l’épouvante-horreur pour nous suggérer autre chose. À titre personnel, c’est en général ce parti pris qui m’intéresse dans le genre, et en dehors d’ambiances typiquement asiatiques à la Deux Sœurs, je m’y retrouve rarement quand il s’agit de frissonner à l’occidentale. La sorcière était donc pleine de promesses, et c’est avec un un avis très favorable que je me suis plongée dans le visionnage de The Witch.

 

N’accourez pas pour voir briller le scénario dans ce film. À vrai dire d’ailleurs, l’ensemble du canevas narratif est assez prévisible, du début, jusqu’à la toute fin, dès que l’on se rend compte que le long-métrage ne se veut ni complaisant, ni classique dans son schéma scénaristique (et par là, je veux parler du fameux répit du happy end, bien trop souvent mis en avant dans les films d’horreur). The Witch puise l’ensemble de ses qualités dans sa mise en scène (justement récompensée, donc), ses décors aussi splendides que figés, son jeu d’acteur et ses musiques horrifiques et dissonantes à souhait, bien loin des grands coups de percussions des classiques jump scare, instaurent une ambiance unique, que nous n’avions pas pu savourer depuis longtemps. Ici, nous suivons l’histoire atypique de cette famille exilée dans des contrées isolées et austères, à la lisière d’un bois, berceau de toutes les peurs.  L’histoire avance doucement, tant et si bien que l’on prend le temps de découvrir assez bien chaque figure de la famille, sa psychologie et son rapport à chacun des autres membres. Complexes et puissants, ses liens consolideront tout au long du film cet aspect de huis-clos dans un monde pourtant ouvert, jusqu’à la dislocation progressive de la cellule familiale, là où réside toute l’essence horrifique du film. Pour ce qui est du foyer isolé, de la lumière aux camaieux de gris ou de la psychologie des personnages, nous pourrions nous croire dans The Village de M. Night Shyamalan, qui lui aussi, n’était pas un film comme les autres.

Et pourtant, il serait bien trompeur de considérer The Witch comme un film d’épouvante-horreur. Si le long-métrage s’inscrit dans un format résolument différent du genre, il n’en reste pas moins que vous ne sortirez pas de votre salle de cinéma totalement apeurés. Certains en seront donc peut-être déçus, mais cependant, si The Witch n’effraie pas, il n’en possède pas moins un caractère angoissant et subtil qui dégoûte et révulse, le plaçant alors plus comme un film sur la peur, à défaut d’être un film qui fait peur.

 

[alert type=white ]Quelques spoilers apparaîtront dans les paragraphes à venir, attention ![/alert]

 

Ces deux mots pourraient être les qualificatifs du destin tourmenté que connaîtra cette famille, exilée loin de son foyer. Dans ces terres austères, nous suivons lentement la cruelle fin de chacun des membres de cette famille. Si au départ, nous pourrions être surpris du parti pris sur la mort du nourrisson, qui aurait en fait pu être une des finalités du film, on comprend bien vite que chacun d’entre eux se perdra à un moment, à sa manière. Là où The Witch surprend, c’est sur le caractère latent de l’angoisse, distillée avec soin , de façon à ce que chacun des membres de la famille ne soit jamais en sûreté, ni mentalement, ni physiquement. Pour ce qui est des concepts et valeurs abordés, ils sont multiples et captivants : l’intégrisme religieux, l’éducation, la famille, la parentalité, l’inceste, la découverte de la sexualité, le mensonge, le pouvoir, la féminité… Autant d’éléments abordés tout au long de cette heure et demie de film. Si ce dernier n’est ni long, ni court, en terme de ressenti, on aurait sans doute aimé que quelques-uns de ces concepts soient plus travaillés, pour un rendu psychologique encore plus fin.

Enfin, et pour revenir sur ce qui donna le titre au film, il reste à noter que la sorcière mentionnée n’apparaît que très rarement (à trois reprises en fait : début, milieu et fin du film) et qu’à première vue, le titre pourrait sembler trompeur : cette sorcière, nous ne la voyons que très peu, et ce n’est pas elle qui est à proprement parler au centre du film. D’ailleurs, et nous nous en rendons compte vers la fin, cette sorcière ne constitue pas le véritable enjeu du film. Le Mal est plus global que cela, et semble venir de partout, d’où l’accroche du film, indiquant que le mal peut revêtir plusieurs formes.

C’est donc dans cet état d’esprit que nous nous concentrons davantage sur la lente agonie de cette famille, en proie aux tensions grandissantes et à cette menace ésotérique, latente mais de plus en plus palpable. Au fur et à mesure du film, et malgré le fait que chaque personnage soit parfaitement travaillé, nous convergeons vers un point de vue plus orienté vers le personnage de Thomasin, la fille aînée de la famille. Douce, innocente et courageuse, cet archétype de la jeune fille à l’aube de sa puberté attendrit, dans un premier temps. Pourtant, au fur et à mesure, le portrait de la jeune femme s’esquisse doucement. L’innocence y semble plus fragile que présumé, et c’est avec avidité et pouvoir que le personnage devient petit à petit le pilier de l’intrigue, à la fois tiraillée entre les reproches parentaux, sa place délicate d’aînée, et ses suspicions quant à la menace ésotérique rodant au dehors. Si l’ensemble de la famille succombera à la violence et la cette dite menace, nous découvrons peu à peu que nous aurions pu nous être trompés quant à l’identité véritable de cette sorcière que l’on aperçoit que très peu. Cette même sorcière ne serait-elle pas Thomasin, et le film ne serait-il pas alors qu’un long récit sur les prémices d’une créature dangereuse et malveillante ? Jusqu’au final du film, l’hypothèse semble se confirmer. Les dernières images elles, ne laissent aucun doute.

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Sombre, malsain, angoissant, mais diablement bien réalisé, The Witch nous embarque dans un récit d’horreur différent, sur fond de croyances ayant perduré jusqu’aux temps modernes, de religion et d’une mythologie ésotérique des plus nourries.

 

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[divider]Siegfried « Moyocoyani » Würtz[/divider]

 

The Witch est un film d’emblée étonnant à plusieurs égards. D’abord par sa réception : s’il n’est pas courant qu’un réalisateur reçoive un prix du meilleur metteur en scène pour son premier film, il est encore plus rare qu’un film d’horreur soit à ce point honoré dans un festival généraliste, et a fortiori de cinéma indépendant, comme celui de Sundance, et pas seulement à Gérardmer (ex-Avoriaz), à l’instar de It follows, par exemple. Il a par ailleurs recueilli 91% de votes positifs de la part de la presse anglophone d’après le site Rotten tomatoes, qui a agrégé 248 critiques : pour que ces chiffres soient plus parlants, rappelons que même The Conjuring n’avait pas reçu autant de critiques, alors qu’il avait bénéficié d’emblée d’une production et d’une distribution à l’international de grande ampleur, et aucun film de James Wan n’y a été aussi bien noté.

Deuxième curiosité, le cadre. Plutôt que de nous confronter encore à l’irruption du fantastique dans notre quotidien moderne, Robert Eggers a fait le choix de situer son intrigue dans la Nouvelle-Angleterre du début du 17ème siècle, en se contentant de montrer les réactions d’une famille de six membres, bannis de la plantation de colons nouvellement immigrés d’Angleterre à cause de leur radicalisme religieux, face à l’horreur d’une sombre forêt que leur culture n’a pas encore vidé de ses menaces. Il y a évidemment un danger dans ce parti-pris, celui de ne pas impliquer le spectateur dans un environnement trop distant de ses préoccupations. Mais c’est aussi ce qui fait le génie du réalisateur, qui refuse les facilités auxquelles nous sommes habitués pour produire un film personnel d’autant plus étonnant qu’on n’a plus l’habitude de voir tant d’implication dans un genre si méprisé.

 

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Il y a longtemps qu’Eggers souhaitait réaliser un film sur la sorcellerie, objet de fascination depuis son enfance, et il est d’autant plus intéressant évidemment que la présence de la sorcière annoncée par le titre soit si rare : c’est qu’il a compris quelque chose d’assez profond à l’essence de l’horreur : l’irréalité rassurante du film d’horreur ne vient pas du cadre ou des personnages, mais du monstre trop visible, trop agissant. Or toute la problématique autour de la sorcellerie est justement qu’on la suppose sans certitude : combien ont été injustement tués sous cette accusation, alors que rien ne pouvait naturellement prouver leur culpabilité ?

C’est à la fois la grande qualité et le défaut du film : en nous situant en 1630 chez des radicaux religieux, Eggers nous rappelle qu’on se situe dans un milieu et à une époque où la peur du Malin est omniprésente – on se situe exactement entre la publication des best-sellers  du juriste Jean Bodin sur les crimes de sorcellerie et l’affaire des sorcières de Salem. Les allusions constantes au péché ne sont donc pas qu’un gimmick, au contraire des prêtres exorcistes des films se situant à notre époque : ils confèrent une authenticité prenante, accrue par le soin documentaire qu’a pris Eggers à reproduire au mieux les costumes, objets et usages du temps.

Mais on peut penser qu’Eggers aurait gagné à semer le doute chez le spectateur, en insistant justement sur l’indécidabilité de la sorcellerie, plutôt qu’à affirmer d’emblée la présence d’un surnaturel, et à remplacer trop vite le fantastique par l’horreur. Ayant toutes les cartes en main, le spectateur s’attend à tout, et s’il est vrai que le scénario n’est pas tant l’intérêt du film que sa mise en scène puissante, cela peut aisément engendrer une frustration. Il est certes heureux et impressionnant qu’Egger ait eu l’audace de renoncer aux jump scares, facilité médiocre du cinéma d’horreur contemporain, mais on pourrait en venir à regretter qu’il y ait renoncé tout à fait : après tout, la crainte de la jump scare est une source de tension d’une force bien plus grande que la jump scare elle-même, et elle aurait pu donner au film l’intensité dont il manque parfois. Les chefs-d’oeuvre du cinéma d’horreur sans jump scares reposaient essentiellement sur l’alliance puissante entre mise en scène et scénario (c’est le cas des merveilleux The Thing et In the mouth of madness de Carpenter par exemple), alors qu’on a affaire dans The Witch au choix plus curieux de reprendre des codes du genre en en évacuant la tension. 

 

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On peut alors être sidéré, tout en estimant qu’il manque quelque chose. Finalement, par-delà sa réussite indéniable, The Witch interroge sur le genre-même du film d’horreur : se définit-il par un ensemble de codes visuels, par ses thèmes, par l’effet qu’il cherche à faire éprouver au spectateur ? Il est plaisant de voir un film d’horreur apporter plus de soin à la reconstitution d’un cadre, à la reproduction d’un état d’esprit, qu’à la simple et pauvre frayeur, mais un grand film d’horreur serait peut-être parvenu aux deux : parce que si le but est de voir un film sidérant de beauté et de modernité sur le début du 17ème siècle, mieux vaut se reporter à A Field in England, du passionnant Ben Wheatley (le réalisateur de High-Rise, dont on vous parlait ici), alors que si vous désirez voir un film d’horreur sans vulgaires jump scares, ou en usant avec intelligence, la liste de films est longue (et cleek avait donné quelques conseils). L’entre-deux constitué par The Witch est une curiosité intéressante et très digne d’être regardé, malheureusement pas le grand film que l’on a presque eu.

 

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