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Le Dovahzul, langue fictive ?

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Langues et pratiques du geek : le Dovahzul

 

[dropcap size=small]E[/dropcap]t si l’envie vous prenait d’apprendre le Dovahzul ?

Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je vous recommanderais chaudement de parcourir le premier volet de cette chronique, consacré au Quenya, et dans lequel je prends le temps de définir selon mes termes cette notion de langue fictive. Vous pouvez par ailleurs retrouver le second volet de cette chronique consacré à l’Hylian.

Néanmoins, pas besoin d’une explication complète pour affirmer ce qui va suivre : il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Et si nous nous plongions dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue ? C’est du moins ce que j’ai fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agira pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.

 

Puisque nous nous consacrions le mois dernier au Dothraki, langue notamment parlée par l’héroïne Daenerys Targaryen, connue pour ses dragons, continuons ce mois-ci tout feu tout flamme dans l’univers brûlant des dragons pour nous essayer aux Cris de dragon de la langue Dovahzul dont il est question dans le jeu vidéo The Elder Scrolls V : Skyrim.

 

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« Clik doj faal dovahzul » – Cleek apprend la Langue des Dragons

 

 

Les origines du Dovahzul

 

[dropcap size=small]Q[/dropcap]ue vous ayez fini ou non The Elder Scrolls V : Skyrim, et qu’une certaine araignée vous ait traumatisé ou non au cours du jeu, vous avez sans nul doute été confronté de près ou de loin à une langue bien étrange et pourtant essentielle au jeu et à son histoire : le Dovahzul. Les origines du Dovahzul, ou Langage Draconique, ou Langue des Dragons,  n’en sont pas moins assez mystérieuses. En effet, plusieurs théories se croisent et s’entrecroisent parmi les différentes sources disponibles sur le net. Certaines rumeurs (que certains, sur certains sites, nomment Todd Howard, alors game director) voudraient que ce soit le lead designer de l’époque Emil Pagliarulo (que l’on retrouvera plus tard sur Fallout 4) l’inventeur de cette langue, après un long week-end arrosé. D’autres rumeurs soutiennent que l’on doit le Dovahzul à Adam Adamowicz, décédé en 2012. Cette dernière thèse semble pourtant moins probable, puisque l’on retrouve des interviews de Pagliarulo sur la question, mais pas d’Adamowicz. Si le doute subsiste, pourtant, l’histoire du Dovahzul semble elle paradoxalement particulièrement bien connue.

En effet, les origines intra-diégétiques de la langue sont on ne peut plus claires. Notons à ce propos qu’à l’image du Quenya, le Dovahzul connaît deux chronologies bien distinctes : celle extra-diégétique, correspondant à sa création dans notre monde réel, et celle intra-diégétique, à savoir donc dans l’histoire du jeu lui-même). Si toute langue fictive possède en soi cette double chronologie, pour peu que la langue soit bien inscrite dans son univers, on peut néanmoins souligner que dans le cas du Dovahzul, son évolution intra-diégétique est notable. Ainsi, voici ce que l’on peut lire à ce propos sur The Elder Scrolls Wiki.

 

Le Langage Draconique est un langage créé par Akatosh et communément parlé par les anciennes créatures appelées Dragon et utilisée à des fins magiques, cette langue permet de pousser un cri communément appelé Thu’um, ce cri peut avoir toute sorte de résultat. Cette langue est la plus vieille de toute l’histoire de Nirn, elle a connu une période d’apogée vers la fin de l’Ère Méréthique pour ensuite connaitre son déclin avec la victoire des Hommes sur les Dragons, après la Guerre Draconique. Bien que cette langue soit aujourd’hui quasiment oubliée (parlée seulement par les Grises-Barbes et les autres utilisateurs du Thu’um tel que le Dovahkiin) elle était couramment pratiquée par les Nordiques de Bordeciel jusqu’à la fin de l’Ère Première. Elle est également nommée Dovahzul.

 

Le jeu consacre une importante partie de son histoire à cette langue, et pour cause : elle est au cœur de son gameplay et de son scénario. Rien que ça ! En effet, le joueur incarne un personnage qui se révèle être (attention au spoil) le Dovahkiin, l’Enfant de dragon, capable de parler la langue des dragons. Certains mots se révèlent chargés de pouvoir : ces mots, des cris, ou Thu’um, constituent les compétences spécifiques du personnage, et l’accompagneront et l’aideront tout au long de l’aventure.

Afin que l’ensemble se tienne, et que le jeu entier ne s’écroule pas comme un château de cartes, il fallait donc créer une langue cohérente, et dont l’utilisation répétée et variée n’allait pas ébranler les fondations. Chaque nouvelle règle de grammaire ou de syntaxe se devait donc d’apporter quelque chose tout en respectant le substrat sur lequel elle s’ajoutait, sans pour autant se montrer trop complexe. La tâche est donc relativement ardue, et l’un des choix pour tenter de simplifier ce processus a donc été de constituer un lexique uniquement composé de mots nécessaires au jeu. La liste des mots draconiques s’est donc créée au fur et à mesure des besoins énoncés par le jeu et son scénario.

 

 

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On peut alors se demander sur quelle base s’est formée le Dovahzul. On distingue deux sources principales d’inspiration pour deux étapes de création bien distinctes. Tout d’abord, partons de ce qui est le plus évident : l’alphabet. Composé de 34 caractères de type runique, il s’inspire de l’écriture cunéiforme de la Basse Mésopotamie, à base de traits et d’angles. Ce qui tombe bien, puisque cela lui donne une esthétique particulière, faisant penser à des traces laissées par des griffes de dragons (quelle coïncidence). La langue en elle-même prend quant à elle ses racines dans l’Old English (ou vieil anglais, ou anglo-saxon), et plus précisément dans l’œuvre littéraire Beowulf, poème épique anglo-saxon majeur écrit entre le 7e et le 10e siècle de notre ère.

 

J’ai récemment réussi à remettre la main sur une lecture de Beowulf en vieil anglais, une de celles que j’écoutais beaucoup à l’époque. Ça a toujours été ma source d’inspiration. Quelle sonorité aurait une épopée ? J’ai dès lors su quelle sonorité je voulais qu’elle [la langue draconique] ait.

 

Voilà ce que nous en dit Pagliarulo dans une interview, nous révélant au passage que c’est avant tout l’aspect phonologique qui a dessiné le chemin que la langue allait suivre. Sur la base du vieil anglais, on retrouve donc des sonorités légèrement germaniques voire nordiques, dues à l’histoire de la langue anglaise. On apprend par ailleurs dans cette interview que l’utilisation de la langue dans le jeu a défini sa structure : puisqu’il ne s’agissait que de créer une langue en tant que telle pour être parlée de façon régulière, le choix a été fait de se concentrer sur une structure autour du mot et du hiéroglyphe. Outre l’alphabet, cela se traduit notamment par le vocabulaire et par la construction de certains mots : ainsi, les noms de dragons sont toujours exclusivement composés de trois mots. Cela explique aussi la grammaire relativement limitée sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin dans cet article.

Vous devriez regarder aussi ça :
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De nombreuses vidéos et de nombreux articles sont disponibles pour vous détailler au moins le processus et la réflexion derrière le Dovahzul. Je ne saurais trop vous conseiller de les lire et regarder si le sujet vous intéresse. Je vous recommande notamment les trois pages qui forment l’article de GameInformer ainsi que cet article-ci regroupant plusieurs vidéos toutes plus intéressantes les unes que les autres.

 

 

L’apprentissage du Dovahzul

 

[dropcap size=small]C[/dropcap]et apprentissage, à l’image de celui du Quenya, comporte deux facettes : l’apprentissage de l’alphabet et l’apprentissage du vocabulaire et de la structure de la langue. Un mois pour acquérir les bases de ces deux facettes, c’est peu. L’important concernant le Dovahzul est de savoir doser ses efforts. Explications.

 

La liste des courses

 

Dans le cadre de cet apprentissage, je vais vous conseiller deux sources majeures de connaissances, mais sachez que vous pouvez en trouver bien d’autres sur internet. Pour ne pas changer, je me suis dans un premier temps basée sur deux cours Memrise afin de découvrir le Dovahzul : un cours pour apprendre l’alphabet, et un cours pour le vocabulaire. Mais le site que je vous recommande le plus chaudement et qui a changé mon apprentissage du Dovahzul dès lors que je l’ai découvert est sans conteste Thuum.org. Ce site, non officiel, est très complet et regroupe quasi toutes les connaissances que l’on peut avoir sur cette langue : alphabet, phonétique, vocabulaire, mais aussi conjugaison, grammaire, extraits de textes, traducteur, et surtout exercices. Son seul défaut : il est en anglais, et cela pourra rebuter les non-anglophones. Mais à titre personnel, je ne peux que vous encourager à vous y rendre et à vous y plonger à neurones ouverts.

 

Ce qu’il faut retenir de l’apprentissage du Dovahzul

 

Avoir les ressources pour apprendre, c’est bien. Apprendre, c’est mieux. Et la tâche n’est pas la même dans le cas de l’alphabet et de la langue. Commençons par là où ça fait mal : l’alphabet.

En effet, qu’on se le dise tout de suite : l’alphabet Dovahzul n’est pas le plus simple au monde. Il n’est d’une part pas similaire à ce que l’on connaît, et ne nous est pas familier d’une quelque façon que ce soit (à moins que vous soyez un spécialiste de la Basse Mésopotamie). D’autre part, sa construction n’est pas entièrement cohérente au niveau graphique, et il est difficile de se créer des aides mnémotechniques : n’espérez pas rapprocher le a et le aa, ni le i et le ii, etc. Si l’ensemble est graphiquement très exotique et esthétique, il est compliqué de le maîtriser en quatre semaines. Je vous invite donc fortement à régulièrement faire travailler votre cerveau en essayant de faire de la traduction (dans un sens, comme dans l’autre). Utilisez tous les outils à votre disposition.

Pour ce qui est de la phonétique, si le site thuum.org vous apporte des réponses, je ne peux que vous recommander d’écouter des extraits de Skyrim. Et je ne peux résister à l’envie de vous suggérer la bande-sonore du jeu, aussi majestueuse qu’épique (les paroles en Dovahzul sont disponibles dans la description).

 

 

À côté de l’alphabet, l’apprentissage de la langue, c’est du gâteau. Mais attention à bien suivre la recette. En effet, si le Dovahzul se caractérise par une grammaire simplifiée (absence de conjugaison, nombre réduit de temps, etc), cela ne signifie pas que c’est plus simple. Cela complique notamment la traduction. Cette langue est principalement agglutinante : l’utilisation d’affixes est donc très courante, donc préparez-y vous. Une des difficultés principales, c’est la polyvalence des mots, qui se caractérise par la nature « strong » ou « weak » des mots. Les catégories grammaticales ne sont pas restrictives comme en français : certains adverbes peuvent être utilisés comme verbes, des adjectifs comme adverbes, etc. Seule consolation : le Dovahzul suit l’ordre Sujet-Verbe-Objet comme on le connaît en français. N’hésitez pas à vous aider des exercices et mises en pratique proposés sur thuum.org pour vous faire la main.

 

Conclusion

 

Quatre semaines pour apprendre le Dovahzul, ce n’est pas beaucoup, mais pas impossible, si vous faites preuve d’une très grande motivation. La langue n’est pas aussi complète que d’autres langues que nous avons pu rencontrer dans sa globalité, mais elle n’en est pas moins complexe. L’alphabet reste cependant la partie la plus frustrante dans cet apprentissage, et l’on peut rapidement construire des phrases pour peu que l’on utilise bien les nombreuses ressources à notre disposition.

Certes son vocabulaire plus réduit que pour le Quenya ou le Dothraki ne vous permettra de parler de tous les sujets, mais l’on aime (du moins, à titre personnel) la représentation du monde offerte par le lexique de cette langue. Nous parlions de la dernière fois du Dothraki qui n’exprimait pas les choses de la même façon parce que leur monde n’était pas le même que le nôtre, et que les référents linguistiques n’étaient donc pas les mêmes : un monde centré sur le cheval, sans technologie (il n’y avait même pas de mot pour parler de Trône, obligeant les dothraki à parler de « chaise de fer ».) Ici aussi, le monde n’est pas linguistiquement représenté de la même façon dans le cadre du Dovahzul. Un même mot va désigner plusieurs concepts néanmoins proches. De plus, l’approche périphrastique de cette langue, qui crée de nouveaux mots en en assemblant plusieurs autres donne au Dovahzul une certaine poésie très appréciable : on peut citer par exemple le mot alok-dilon, signifiant nécromancie, mais dont le sens littéral serait plutôt « la résurrection des morts », puisqu’il est composé du verbe/nom alok, pour se lever/le lever, et du nom/verbe dilon, pour les morts/tuer. Si cela complique la tâche d’apprentissage, ça donne un charme non négligeable à cette langue.