Langues et pratiques du Geek : le Dothraki

 

Et si l’envie vous prenait d’apprendre cette langue fictive qu’est le Dothraki?

Si, à cette première question, vous répondez par une autre question, qui serait de l’ordre de « Qu’est-ce qu’une langue fictive ? », je vous recommanderais chaudement de parcourir le premier volet de cette chronique, consacré au Quenya, et dans lequel je prends le temps de définir selon mes termes cette notion de langue fictive. Vous pouvez par ailleurs retrouver le second volet de cette chronique consacré à l’Hylian.

Néanmoins, pas besoin d’une explication complète pour affirmer ce qui va suivre : il n’est pas rare qu’un univers fictif se compose, outre de personnages et de lieux particuliers, spécifiques et parfois créés spécialement pour cet univers, de langues créées pour l’occasion. Ces langues, qui apportent très souvent cette petite pointe d’exotisme qui nous fait rêver, viennent surtout compléter l’ancrage de ces univers fictifs, les rendant plus crédibles et incroyablement plus riches. Et si nous nous plongions dans ces univers, parmi nos préférés, en apprenant leur langue ? C’est du moins ce que j’ai fait pour vous, en quatre semaines top chrono ! Bien sûr, il ne s’agira pas d’un cours de langue de ma part, mais plutôt d’une approche des différentes langues fictives qui peuvent exister, en s’intéressant à l’univers dans lequel elles s’inscrivent et à leur apprentissage.

 

Vous n’êtes pas sans savoir que la série Game of Thrones fait son grand retour le 24 avril prochain sur les écrans. Alors en fan impatient que vous êtes, vous avez revu toutes les saisons de la série, relu tous les tomes de la saga, afin d’être fin prêt pour la reprise des aventures de vos héros préférés. Mais avez-vous révisé votre Dothraki ? Langue emblématique de Khal Drogo et de Daenerys Targaryen (héroïne à laquelle nous consacrions un article il y a un peu plus de six mois de cela), le Dothraki est une des langues fictives de la saga et de la série Game of Thrones, malgré un traitement légèrement différent d’un support à l’autre. Sortez votre cheval et votre dictionnaire, et embarquez pour une cavalcade folle en terre George R.R. Martinienne.

« Cleek ezoe lekhes dothraki » – Cleek apprend la langue Dothraki

 

Les origines du Dothraki

 

[dropcap size=small]Q[/dropcap]ui dit Dothraki dit Game of Thrones. Et dois-je vraiment en dire plus ? Si cela ne paraît pas nécessaire, je prendrai néanmoins le temps de poser les bases, à savoir les deux pierres fondamentales ici que sont la série de romans A Song of Ice and Fire (ou le Trône de fer) de George R. R. Martin et la série américaine Game of Thrones (ou Le Trône de fer, on ne change pas une équipe qui gagne) de David Benioff et D. B. Weiss qui proposent une adaptation télévisuelle de la saga romanesque.
Diffusée pour la première fois il y a 5 ans de cela maintenant, le 17 avril 2011, sur la chaîne américaine HBO, la série Game of Thrones a depuis gagné ses lettres de noblesse et a envahi un grand nombre de foyers et d’écrans à travers le monde. Avec à son actif cinq saisons diffusées, et une sixième à venir, et ses quelques dix épisodes par saison, la série a su inscrire ses personnages, ses paysages et son univers (ou plutôt ses univers) dans le cœur des téléspectateurs, qui trépignent au lot de révélations et de retournements qu’apporte chaque nouvel épisode.

Outre un succès singulier dont peu de sagas romanesques et télévisées peuvent se targuer, cette adaptation télévisée se distingue d’autres adaptations sur base de romans par la distance et l’avance qu’elle a pris sur son matériel d’origine. En effet, de par des contraintes de rythme de diffusion d’une part, et d’une publication toujours en cours des romans (dont le premier tome est paru en 1996, et dont le dernier est annoncé pour 2017) d’autre part, la série télévisée a dû s’affranchir du support littéraire dès le courant de l’année 2015 pour voler de ses propres ailes. Cela explique notamment, mais pas que, les différences observables entre les deux supports.

Une de ces différences, c’est notamment l’implantation et le traitement des langues. En effet, si George R. R. Martin n’est pas considéré comme le « Tolkien américain » pour rien (son univers et la richesse de son œuvre y sont peut-être pour quelque chose), l’auteur américain n’est pourtant pas un linguiste de formation. Et si la présence de nombreuses langues fictives est évoquée au travers du cyle A Song of Ice and Fire, telles que l’Old Tongue et le Common Tongue en ce qui concerne le continent du Westeros, ou l’ensemble des langues Valyrian (auquel appartient le Dothraki) de l’Essos, elles ne sont guère développées dans l’œuvre littéraire, hormis l’instanciation ponctuelle de ces langues, par l’utilisation très parsemée de certains mots, syntagmes voire phrases. Un réel travail de fond a donc été fait lors du passage de la série sur écran pour donner vie à ces différentes langues, pour que l’utilisation de sons et de mots inconnus ne passe pas pour du yaourt anecdotique. Et ce travail est donc passé par l’embauche d’un linguiste, un vrai, du nom de David J. Peterson, qui a donc notamment travaillé à la création des systèmes Dothraki et Valyrian.

Car il est temps de s’interroger sur le sujet qui nous intéresse, à savoir le Dothraki. Qu’es aquo, précisément ? Au risque de dire l’évidence, comme son nom l’indique, le Dothraki est la langue parlée par les Dothraki, peuplade des plaines centrales d’Essos, et qualifiée de gutturale. Connus pour leur culture centrée autour du cheval, de la guerre et du pillage, ces cavaliers nomades ont à leur tête Khal Drogo, puis Daenerys Targaryen lorsque le mari qu’on lui a imposé mais qu’elle a appris à aimer viendra à mourir (#nospoilerino). Par de nombreux aspects, donc, culturels mais aussi phonétiques, ce peuple peut être et a été rapproché du peuple mongol, ayant eux aussi un mode de vie basé sur le nomadisme, le cheval, et les conquêtes (notamment sous Gengis Khan). C’est du moins ce qu’explique David J. Peterson lorsqu’on l’interroge sur ses inspirations quant à la création d’un système Dothraki cohérent.

 

J’ai fait des recherches similaires à celles que George R.R. Martin a mené quand il a inventé la culture dothraki pour ses romans. Il s’est inspiré de la culture de la Mongolie de l’époque de Gengis Khan. Je suis donc parti de là, et j’ai réfléchi au décor dans lequel vivent les Dothraki, à ce qui est « normal » pour eux, à quoi leur vie quotidienne ressemble, pour quelles choses ils doivent avoir des mots et pour lesquelles ils n’ont pas de mots – c’est un autre aspect important des langues, ce qu’elles n’expriment pas. Puis, une fois que j’avais une idée de leur vie, je me suis demandé comment lui donner corps dans le lexique qu’ils emploient.

 

Cette création est aussi scientifique que passionnante, ce qui peut sembler paradoxale pour une lange, surtout au vu de la constitution (chaotique) de langues naturelles comme le français par exemple. En effet, s’il ne s’agit pas de partir complètement de zéro, puisque le linguiste avait d’une part la culture dans laquelle la langue s’inscrit, et d’autre part des exemples de sons, de mots et de syntaxe, la tâche n’en était pas moins ardue. Il s’agissait en effet de créer un système grammatical et phonétique qui se tienne et qui s’inscrive dans l’existant (aussi minime soit-il dans les livres) et qui ait une cohérence sémantique qui s’inscrive quant à elle dans un univers et plus précisément une chronologie précise : la langue est en effet parlée par des cavaliers nomades d’une civilisation que l’on pourrait qualifiée de « primitive », qui ne connaît donc pas l’électricité, le réfrigérateur, et a sa propre conception du monde, de son fonctionnement, de son environnement, etc. Et surtout un système purement oral, puisque la civilisation Dothraki, qui part de nombreux aspects semble s’inscrire à la fin de ce qui serait l’Âge de fer de leur monde, est encore illettrée et ne connaît donc pas encore l’écriture.

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D’un point de vue concret, le Dothraki s’inspirerait du turc, du russe, du swahili, de l’estonien et de l’inuktitut. Il mélange des sonorités inspirées de l’arabe et de l’espagnol, et il s’écrit sous une forme romanisée. Le vocabulaire Dothraki compte à ce jour près de 4 000 mots, mais est loin d’être fermé, Peterson ayant affirmé qu’il souhaitait doubler, si ce n’est plus, ce nombre. Il contient aussi bien des noms, des verbes, des adjectifs que des nombres, et couvre des thèmes très divers tels que l’architecture, les animaux, la famille ou le sexe.

Si les détails de la création et de la mise en place du Dothraki sur le tournage de Game of Thrones vous intéresse, je vous recommande très chaudement le visionnage du reportage ci-dessous qui aborde tous les aspects de ce challenge linguistique.

 

 

Les intervenants font notamment référence dans ce documentaire au site de la Language Creation Society, qui regroupe de très nombreux média concernant la création de langues, recherches, conférences ou cours, sur de très nombreuses langues créées, et notamment le Dothraki.

 

L’apprentissage du Dothraki

 

[dropcap size=small]M[/dropcap]aintenant que l’on a vu le quoi et le pourquoi, attardons-nous sur le comment. Et mettons tout de suite les choses au clair : apprendre le Dothraki se rapproche de l’épreuve de force, qui demande patience et persévérance.

Mon but originel était, au bout de ces quatre semaines d’apprentissage, de savoir décrypter l’écriture s’il y en avait une, et d’écrire une phrase simple – ou à défaut de savoir la comprendre. Autant vous le dire, je crains d’avoir lamentablement échoué, par manque de temps, principalement. Mais nous y reviendrons.

 

La liste des courses

 

Internet sera clairement votre meilleur ami, après David J. Peterson, dans l’apprentissage du Dothraki. Je ne dénombre plus la pléiade de sites, plus ou moins officiels, comme celui dans lequel intervient Peterson lui-même, ni même le foisonnement de ressources disponibles gratuitement en ligne regroupant toutes les connaissances connues au sujet du Dothraki. Mais pas seulement. Sachez qu’il existe un livre officiel, accompagné d’un CD, aussi disponibles au format numérique, pour apprendre le Dothraki, si vous tenez à garantir la pureté de votre langue.

Pour ma part, je me suis contentée d’un cours Memrise, celui de Sir Darcy : plusieurs cours avec l’étiquette Dothraki sont disponibles sur le site, mais celui que je viens de vous citer me paraît tout de même être le plus noob friendly pour la débutante que je suis, et que vous êtes potentiellement. Si au bout de ses quelques 293 mots, vous n’êtes toujours pas rassasiés, il sera alors temps de vous tourner vers d’autres cours, classés par catégories grammaticales ou non, et recensant plus de 1300 termes chacun. Mais petit conseil, sachez ne pas vous montrer trop gourmand dès le début. Surtout que de nombreux dictionnaires sont disponibles en ligne. Mais ces cours vous enseignent principalement du lexique. En ce qui concerne la grammaire, je me suis personnellement servie de ce Wiki du Dothraki, notamment pour les conjugaisons, même si l’on peut regretter son manque de clareté ou son caractère incomplet par moment.

Nous l’avons vu, le Dothraki est une langue principalement orale, ne proposant pas de système d’écriture officiel. Pourtant, je vous en propose une illustration au début de cet article. Mais quelle est donc cette magie, me direz-vous. Sachez que deux personnes, Carlos et Patricia Carrion, se sont attelées à la création d’une écriture. Celle-ci a notamment été relayée par Peterson, bien que son caractère non-officiel ait été souligné par ce dernier. C’est donc ce système que j’ai appris. Hélas, aucun cours en tant que tel n’est disponible sur internet, mais vous pouvez trouver une table regroupant les différentes équivalences entre alphabet latin et alphabet Dothraki, avec un soupçon de diachronie pour les plus curieux d’entre vous. Il n’existe pas non plus (à ma connaissance) de polices d’écriture Dothraki : le bon vieux montage Photoshop s’impose donc si vous désirez « écrire » Dothraki sur votre ordinateur.

 

 

Ce qu’il faut retenir de l’apprentissage du Dothraki

 

Passons à l’apprentissage en tant que tel.

Et commençons par le script. Si celui-ci est exotique à souhait, il est grandement cohérent, et cela en facilite agréablement l’apprentissage. Les lettres phonétiquement similaires sont rapprochées par leur graphie, ce qui tend à réduire le nombre de caractères à réellement assimiler. Le script compte 37 caractères, dont cinq signes de ponctuation, et demande une certaine agilité (et de l’entraînement) pour être écrit à la main. Il ne pose cependant pas de réelles difficultés.

Parlons maintenant de la langue elle-même. La bonne nouvelle, c’est que cette langue suit l’ordre SVO (Sujet-Verbe-Objet) que l’on connaît en français. La mauvaise nouvelle, c’est que malgré cet ordre, le Dothraki est une langue flexionnelle (comprendre ici qu’elle utilise préfixes, suffixes, et circonfixes) pour dénoter personne, nombre ou polarité pour les verbes, mais aussi nombre et cas pour les substantifs. La mauvaise nouvelle bis, c’est en effet que le Dothraki possède un système casuel, comme le latin ou l’allemand, qui dénombre cinq cas pour les noms – le nominatif, l’accusatif, le génitif, l’allatif et l’ablatif -, qui se déclinent différemment en fonction de la classe du nom. Car, oui, les noms se répartissent selon deux classes, les animés et les inanimés, une répartition parfois bien obscure pour nous autres européens contemporains : ainsi, le mot noah pour désigner un taureau est un animé, tout comme le mot ashefa pour la rivière ou mai pour la mère, mais les mots ohara et hrazef pour désigner respectivement une fille et un cheval sont quant à eux des inanimés.

Notons cependant une certaine logique lexicale : ainsi, une même famille sémantique conservera souvent (même si ce n’est pas toujours le cas) une sorte de racine commune, comme dans le cas de edavrasa, davra, davrakh, dravalat,et athdavrazar pour signifier respectivement les adjectifs inutile et utile, le syntagme nominal chose utile, le syntagme verbal être utile et le nom utilité. Cela facilite autant que renforce l’apprentissage des mots.

Si les ressources lexicales sont très nombreuses, les ressources grammaticales sont plus rares, et apprendre déclinaisons et conjugaisons demandera de votre part de la volonté et de la patience, même si les cas et temps verbaux ne sont finalement pas si nombreux (relativement à d’autres langues).

La dernière difficulté que l’on rencontre dans le cadre de l’apprentissage du Dothraki concerne l’aspect phonétique : en effet, on recense quelques différences avec notre bon vieux français. Ainsi, certains phonèmes (ou sons) n’appartiennent pas à notre langue et donc à notre système : l’on rencontre par conséquent des difficultés à prononcer et à identifier certains sons. Le mieux, c’est d’écouter des extraits en Dothraki pour pouvoir se familiariser, apprendre à reconnaître, puis à prononcer ces fameux sons. Sont ainsi à votre disposition les nombreux dialogues de la série télévisée, mais aussi les nombreux travaux de reconstitution de fans, à l’image de cette chanson qui reprend la musique du générique, mais avec l’ajout de paroles en Dothraki.

 

 

Les paroles (et leur traduction) de la chanson sont disponibles dans la description de la vidéo.

 

Conclusion

 

Pour conclure, puisqu’il est je pense grand temps de conclure, je dirais que ces quatre semaines ont été aussi passionnantes que frustrantes. Le Dothraki est une langue excessivement complète, et qui demande par conséquent du temps. De nombreux éléments sont à notre disposition pour la comprendre et l’apprendre, ce qui facilite l’apprentissage, mais peut parfois submerger : difficile de ne pas s’éparpiller. Un peu de rigueur et beaucoup de pratique, grâce aux nombreux textes et extraits audio, mais aussi forums d’apprenants Dothraki, seront les clés d’un apprentissage des plus riches, que je ne saurai que recommander, pour peu que Dame Motivation soit de votre côté.