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La Route : le voyage infernal de Cormac McCarthy

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Nous vous parlions, à l’occasion de la récente édition du Festival de Cannes et de notre rétrospective consacrée aux Frères Coen, de leur adaptation du roman éponyme de Cormac McCarthy, No Country For Old Men. Hier encore, nous continuions avec vous notre série sur le genre post-apocalyptique avec l’adaptation d’un autre de ses romans, La Route. Il est temps aujourd’hui, à l’occasion d’un article en deux volets sur La Route (le film, et le roman) de nous arrêter un instant sur la figure de ce romancier majeur de la littérature américaine contemporaine : Cormac McCarthy.

Né en 1933 à Rhode Island, la famille McCarthy déménage rapidement à Knoxville, dans le Tenessee, ce qui vaudra à Cormac McCarthy un héritage de la partie sud des États-Unis et à ce que certains voient en lui rien de moins que le nouveau William Faulkner. Écrivain majeur dont les œuvres sont de véritables succès littéraires et habitué des adaptations cinématographiques (De Si Jolis Chevaux, No Country For Old Men, La Route, et plus récemment Child of God, porté à l’écran par James Franco), Cormac McCarthy est une figure rare et discrète de la vie médiatique.

 

McCarthy-Cormac

 

Son livre La Route, paru en 2008 en France, est un roman post-apocalyptique racontant le voyage vers la mer d’un homme et de son fils dans des paysages dévastés et hostiles. Sa réception critique en a fait un des romans contemporains majeurs de ces dernières années : récipiendaire des prix Pulitzer de la fiction en 2007 et prix Ignotus en 2008, La Route figurait encore parmi les best-sellers français plus de deux ans après la sortie de sa traduction française dans l’Hexagone. Sept ans après sa sortie en France, et à l’occasion de notre série sur le post-apocalyptique, Cleek se penche avec vous sur ce qui est encore à ce jour le dernier roman du phénomène littéraire Cormac McCarthy.

 

[divider]Les raisons d’un succès[/divider]

 

La Route n’est pas loin d’être un ovni littéraire, tant le suspense et l’incapacité de lâcher l’ouvrage qu’il induit chez le lecteur semblent être en flagrante contradiction avec le fil narratif du roman en lui-même. Un père et son fils tentent de rejoindre la mer, et La Route est le récit de leur voyage dans des contrées vides et désolées où McCarthy déploie une palette impressionnante de nuances de gris.

Chaque étape de leur voyage est cependant un nouveau risque de croiser un autre être humain, et si la solitude de leur condition est douloureuse, la perspective de rencontrer un congénère est synonyme de danger de mort. On voyage avec nos deux héros la peur au ventre et l’incertitude au cœur, et au fil des pages le danger invisible qui menace les protagonistes semble se faire plus pressant et plus grand. Comme le calme avant la tempête ou le silence assourdissant d’une pièce mal éclairée, le suspense de La Route est brillamment mis en œuvre malgré la construction que l’on pourrait croire simpliste de l’intrigue.

 

la route couverture

 

Loin d’être le récit d’un simple voyage, La Route est une allégorie de la condition humaine, et le père et son fils, qui ne seront jamais nommés, les représentants d’une innocence et d’un espoir qui tentent de survivre dans un environnement où règnent le désespoir et la loi du plus fort. Le suspense du développement de l’intrigue tient autant au sort que leur réserve McCarthy qu’à la vision qui l’emportera à la fin. En face de la pire des adversités – rien de moins que la fin du monde – faut-il s’abandonner au pire des cynismes ou tenter de survivre en se raccrochant au plus infime des espoirs ?

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[divider]Le temps du récit[/divider]

 

Récit post-apocalyptique, La Route étonne par le choix délibéré de passer sous silence un aspect du récit pourtant susceptible de passionner le lectorat : les raisons de la fin du monde. Rien n’est dit, explicité ou même suggéré quant aux raisons du déclin de l’humanité et des ravages des paysages traversés par nos héros car ce qui intéresse l’auteur c’est la condition humaine mise à nu, dans son état le plus précaire et à l’avenir incertain. De la vie précédente de nos voyageurs, nous ne savons presque rien, car le temps du récit, linéaire, n’autorise pas de retours en arrière, mais seulement une progression sur cette route dont on se demande si elle aboutit quelque part. Se rendre jusqu’à la mer semble un rêve fou, une utopie à laquelle nos deux héros ne croient qu’à moitié dans cette terre abandonnée par les dieux et dépourvue de tout semblant d’humanité.

 

[alert type=red ]Attention, le paragraphe suivant traite de la fin du roman. Si vous ne l’avez pas encore lu, nous vous conseillons de vous rendre directement au paragraphe d’après[/alert]

 

La fin du roman, magistrale, est une révélation sur la véritable nature de La Route. Sous forme de question ouverte, la mort du père et la rencontre avec l’homme mystérieux, dont on ignore si il sera une présence bénéfique ou dangereuse vis-à-vis du garçon, force le lecteur à interpréter le récit et l’avenir du garçon selon sa propre vision de l’humanité. La Route est le récit initiatique du genre humain, qui, abandonné par les dieux et privé de tout espoir de rédemption, doit cheminer sur sa propre route les yeux bandés et le cœur lourd. Serons-nous à la hauteur ? Nous entretuerons-nous jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus rien ? La Route est un roman-miroir qui interroge le lecteur jusqu’aux tréfonds de son âme. Réduit à l’état le plus primaire de votre condition, serez-vous capable d’avancer ?

Roman post-apocalyptique, La Route est beaucoup plus qu’une œuvre de science-fiction, c’est un livre-charnière qui marque de son empreinte le cours d’une histoire littéraire humaniste et contemporaine.

 

[divider]Extraits[/divider]

 

Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu’elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère.

Le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement. Sans support dans l’air chargé de cendre. Soutenue par un souffle, tremblante et brève.
Si seulement mon coeur était de pierre.